Approche multidisciplinaire du diagnostic des troubles cognitifs
Par Stéphanie Bombois
L’enjeu actuel dans le domaine des troubles cognitifs est de déterminer de façon précoce et précise l’étiologie de ces difficultés. Le diagnostic précoce permet, entre autres, une meilleure adhésion du patient à son parcours de soin, la mise en place de stratégies de prévention et la possibilité de participer à des essais thérapeutiques innovants.
Déterminer l’étiologie des troubles cognitifs correspond, dans les pathologies neurodégénératives, à reconnaître la protéinopathie associée aux déficits cliniques. Les symptômes cognitifs ne sont pas suffisamment spécifiques d’une étiologie (par exemple la maladie d’Alzheimer peut se présenter sous divers phénotypes cliniques : amnésique, aphasie progressive primaire ou atrophie corticale postérieure) et l’utilisation de biomarqueurs est alors utile pour le diagnostic étiologique.
Le diagnostic étiologique fiable est d’autant plus important que des traitements disease-modifier pourraient prochainement être disponibles.
Les biomarqueurs sont des outils du diagnostic étiologique. Pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, il existe des biomarqueurs de neurodégénérescence (N) comme l’atrophie hippocampique en IRM ou les troubles du métabolisme glucidique en TEP-FDG avec un hypométabolisme des carrefours pariéto-temporaux. Les lésions pathologiques de la maladie d’Alzheimer sont les plaques amyloïdes (A) et les dépôts de protéines tau hyperphosphorylées (T). Ces lésions peuvent être diagnostiquées par l’imagerie métabolique ou par leur dosage dans les fluides tels que le liquide cérébrospinal (LCS) ou dans le plasma [1]. Des radioligands des dépôts amyloïdes et des protéines tau couplés à l’imagerie TEP permettent de mettre en évidence in vivo les lésions pathologiques de la maladie d’Alzheimer. Ces techniques ne sont pas utilisées dans le soin courant en France (pas d’agrément de collectivité pour les ligands amyloïdes, pas d’AMM pour les ligands tau). Le profil des biomarqueurs du LCS en lien avec une maladie d’Alzheimer biologique repose sur une diminution de concentration du peptide Aβ42 (ou une augmentation du ratio Aβ40/42), une augmentation des protéines P-tau et T-tau. En 2018, le National Institute on Aging et l’Alzheimer’s Association (NIA-AA) ont proposé une définition et un diagnostic de maladie d’Alzheimer s’appuyant sur les critères ATN [2]. Un diagnostic purement biologique de maladie d’Alzheimer pourrait ainsi être porté, quel que soit le stade asymptomatique ou clinique de la maladie.
Cas clinique. Un homme de 84 ans, retraité, mécanicien, avec pour antécédents personnels : HTA, épisodes dépressifs récurrents en 1982 et 2017, cardiopathie ischémique, cancer de prostate. Son traitement : ticagrelor, bisoprolol, acétylsalicylate de lysine, atorvastatine, bromazépam. Pas d’antécédents familiaux.
Depuis 15 ans, il se plaint d’oublis. Pas de modification de caractère, pas de trouble de l’humeur, troubles du sommeil en raison d’une nycturie. Son examen neurologique est normal. Le bilan neuropsychologique montre un MMSE à 21/30 avec un syndrome amnésique sévère touchant la mémoire épisodique verbale et non verbale avec un trouble de l’encodage, du stockage et de la récupération des informations. Il n’a pas de trouble instrumental. Il existe un syndrome dysexécutif modéré avec une BREF à 11/18 (batterie rapide d’efficience frontale). Il est autonome pour les actes de la vie quotidienne.
Ce profil cognitif fait évoquer en première hypothèse une maladie d’Alzheimer prodromale, et un bilan étiologique est organisé en ce sens. L’IRM montre une atrophie très sévère des hippocampes (classée sur l’échelle visuelle de Scheltens entre 3 et 4), la TEP-FDG montre un hypométabolisme isolé des deux hippocampes, et la ponction lombaire ne montre pas d’anomalie de concentration des trois marqueurs testés.
Le diagnostic étiologique n’est donc pas en faveur d’une maladie d’Alzheimer, ce qui est retrouvé jusqu’à 30 % des cas de sujets avec un syndrome amnésique.
Suite à la proposition d’un diagnostic biologique par le NIA-AA [2] dans un cadre de la recherche, rapidement se sont posées des questions pour une application en soin courant. L’International Working Group (IWG) a répondu en soulevant des limites à un diagnostic purement biologique et en proposant des recommandations pour le diagnostic de maladie d’Alzheimer dans une perspective de pratique clinique [3].
Les limites d’un diagnostic purement biologique sont liées au fait que l’expression clinique des lésions cérébrales de maladie d’Alzheimer est probablement modulée ou compensée par des facteurs encore peu connus, que la copathologie est très fréquente et qu’il peut être difficile d’associer des symptômes avec les différentes lésions présentes, et qu’il n’existe pas (ou peu) de biomarqueurs de protéinopathies non Alzheimer.
Selon l’IWG [3], les situations dans lesquelles les biomarqueurs peuvent être utilisés pour le diagnostic de maladie d’Alzheimer sont essentiellement les sujets symptomatiques. Chez les sujets avec une plainte cognitive sans trouble objectivé, il est recommandé dans le cadre du soin de réaliser un suivi clinique et neuropsychologique. Il est recommandé d’utiliser les biomarqueurs chez ces sujets dans le cadre de la recherche, avec une information éclairée sur les résultats qui peuvent découler de leur recherche. Les personnes sans trouble cognitif objectif avec des marqueurs de maladie d’Alzheimer sont considérés comme à risque, mais pas comme ayant une maladie d’Alzheimer (qui pourrait ne pas devenir symptomatique).
Les examens pouvant être proposés en pratique courante aux sujets symptomatiques vont dépendre de plusieurs facteurs : de la disponibilité de l’outil, de son coût, de la situation clinique, du souhait du patient à connaître son diagnostic… Il est recommandé en premier lieu une évaluation clinique et neuropsychologique, suivie par une imagerie structurelle. Si une maladie d’Alzheimer est l’hypothèse principale, une ponction lombaire avec dosages des biomarqueurs du LCS pourra être proposée préférentiellement à une TEP-FDG, alors que dans le cas d’une suspicion de pathologie dégénérative non Alzheimer, il pourra être proposé en premier lieu une TEP-FDG [4].
Bibliographie
1. Scheltens P, De Strooper B, Kivipelto M et al. Alzheimer’s disease. Lancet 2021 ; 10284 : 1577-90.
2. Jack CR Jr, Bennett DA, Blennow K et al. NIA–AA research framework: toward a biological definition of Alzheimer’s disease. Alzheimers Dement 2018 ; 14 : 535–62.
3. Dubois B, Villain N, Frisoni GB et al. Clinical diagnosis of Alzheimer’s disease: recommendations of the International Working Group. Lancet Neurol 2021 ; 6 : 484-96.
4. Chételat G, Arbizu J, Barthel H et al. Amyloid-PET and 18 F-FDG-PET in the diagnostic investigation of Alzheimer’s disease and other dementias. Lancet Neurol 2020 ; 11 : 951-62.