Les causes du covid long commencent à se dévoiler. 

(mediapart 18 mai 2024)

Les études sur la persistance de symptômes après une infection au Sars-CoV-2 livrent enfin des pistes d’explications. À la clé : des traitements plus adaptés pour les nombreuses personnes touchées, et une meilleure compréhension des nombreuses maladies post-infectieuses. 

Lise Barnéoud

L’ampleur de la pandémie de Sars-CoV-2 aura eu au moins un mérite : celui de rendre visible le fait qu’une infection virale dite « résolue » peut perturber durablement les organismes. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on récupère d’une infection ou qu’on ne trouve plus de virus que les problèmes s’arrêtent. 

Parfois, des symptômes peuvent persister durant des mois, même des années. Bien qu’aucun consensus n’existe encore sur les mécanismes biologiques sous-jacents, les études se multiplient et commencent enfin à lever une partie du mystère qui entoure les syndromes post infectieux. 

Bizarrement, au début de la pandémie, la possibilité d’un « covid long » n’était guère envisagée. Les virus respiratoires entraînent des infections aiguës puis sont nettoyés par le système immunitaire, pensait-on. 

Pourtant, un petit détour historique révèle qu’on avait déjà identifié une persistance de certains symptômes après la pandémie de grippe espagnole (1918-1921) ou, plus récemment, après les épidémies de deux autres coronavirus (Sars en 2002 et Mers en 2013). 

« Lorsqu’on ne comprend pas un problème médical, on a malheureusement tendance à l’ignorer », explique Lisa Chakrabarti, du laboratoire Virus et immunité de l’Institut Pasteur. « Moi aussi, j’ai d’abord pensé qu’en trois mois toute trace d’infection aurait disparu », raconte cette spécialiste du sida qui mène des recherches sur le covid depuis le premier confinement. 

Erreur : dès la fin 2020, 10 % des patient·es infecté·es depuis plus de trois mois décrivaient déjà des symptômes persistants. Aujourd’hui, la prévalence exacte du covid long reste débattue, d’autant plus qu’aucune définition consensuelle de ce syndrome n’existe. 

Les cachettes du virus 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) le définit comme une persistance de symptômes durant au moins deux mois chez les personnes présentant un antécédent d’infection au covid. Alors qu’en France, les autorités ont retenu une période de quatre semaines après un épisode symptomatique. 

En fonction des études et des définitions, l’incidence du covid long se situe ainsi entre 5 % et 30 % des cas non hospitalisés et entre 50 % et 70 % des cas hospitalisés. 

Fatigue, brouillard cérébral, palpitations, troubles digestifs… 

Ce qui caractérise ce syndrome, c’est qu’il concerne un nombre impressionnant d’organes. 

On recense pas moins de deux cents symptômes différents, de sévérités variables selon les cas et qui fluctuent au cours du temps. 

Cette diversité reflète celle observée durant les phases aiguës de la maladie, et pointe vers des mécanismes biologiques multiples, qui peuvent se chevaucher ou s’additionner. 

Voilà qui laisse peu d’espoir de trouver une réponse unique qui convienne à tout le monde. 

L’une des hypothèses qui commence à se consolider au fil des publications consiste à relier ces symptômes à une persistance du virus dans certains tissus. 

« Les réponses immunitaires à l’intérieur des tissus ne sont pas les mêmes que dans le sang », précise Michaela Müller-Trutwin, de l’Institut Pasteur. 

Ainsi, ce n’est pas parce que le virus est indétectable dans le sang ou dans les voies respiratoires supérieures qu’il ne subsiste pas ailleurs, caché à l’intérieur de l’un ou l’autre de nos organes. La chercheuse l’a récemment démontré sur des macaques.

 « Six mois après qu’on leur avait inoculé le virus, on voyait encore des traces d’inflammation dans leur sang. On savait qu’aucun autre pathogène ne les avait infectés entre-temps. Ça nous a mis la puce à l’oreille. » 

En récupérant des cellules des poumons via la méthode du lavage broncho-alvéolaire, l’équipe a découvert chez certains animaux des virus vivants à l’intérieur des macrophages, jusqu’à dix-huit mois après l’infection. 

« Ces cellules immunitaires sont connues pour englober tout ce qui les entoure », explique la virologue. 

Les animaux chez qui les quantités de virus étaient les plus importantes présentaient une inhibition des lymphocytes NK (Natural Killer en anglais), qui représentent avec les macrophages la première ligne de défense immunitaire, chargés notamment de tuer les cellules infectées par les virus. 

Selon l’endroit où se trouvent les réservoirs viraux, les symptômes pourraient être différents. 

Si ces lymphocytes tueurs fonctionnent mal, voilà qui pourrait expliquer la présence de réservoirs viraux à l’intérieur des cellules de certains organes, y compris à l’intérieur des cellules immunitaires chargées de nous débarrasser desdits virus. 

« Nous sommes en train de chercher si d’autres cellules, ailleurs que dans les poumons, contiennent également du virus », indique Michaela Müller-Trutwin. 

En avril, des chercheurs et chercheuses chinois·es publiaient une étude portant sur 225 patient·es avec antécédent de covid ayant subi des biopsies. 

Cette équipe a elle aussi trouvé des traces de virus dans de nombreux tissus : poumons, intestins, foie, reins, cerveau… Dans certains de ces tissus, la présence d’ARN codant pour des protéines virales semble indiquer que ces virus sont encore capables de se répliquer. 

Plus significatif encore : « Les patients dont le nombre de copies du virus était le plus élevé avaient une plus grande probabilité de développer des symptômes de covid long », indiquent les auteurs. 

De fait, qui dit virus persistant dit inflammation persistante et dégâts cellulaires prolongés. 

Ainsi, selon l’endroit où se trouvent ces réservoirs viraux, les symptômes pourraient être différents. 

À l’intérieur de la muqueuse intestinale, ils pourraient être à l’origine de problèmes digestifs, perturber le microbiote. 

Dans le cerveau, ils pourraient expliquer le nuage cognitif et certains désordres hormonaux (une piste notamment explorée pour des neurones situés dans l’hypothalamus exprimant une hormone appelée GnRH, impliquée dans les fonctions reproductrices). 

Dans la paroi des vaisseaux sanguins, ils pourraient favoriser la formation de caillots sanguins, nuisant ainsi à l’oxygénation des tissus. 

Conséquences en cascade 

Toutefois, « s’il est clair que le virus peut persister, il n’est pas encore robustement établi que sa persistance soit la cause du covid long », insiste Lisa Chakrabarti. 

Le pathogène pourrait en effet agir de manière indirecte. 

Même après sa disparition, des événements en cascade suffisent pour perturber durablement les organismes. 

Premier mécanisme proposé : les symptômes persistants pourraient être une conséquence des dégâts qui ont eu lieu durant l’infection aiguë. 

Par exemple, lorsque le virus se multiplie dans les poumons, il détruit de nombreuses cellules pulmonaires, pouvant entraîner des séquelles respiratoires à long terme. 

S’il s’attaque à des cellules qui produisent et sécrètent des hormones (glandes surrénales, hypothalamus, thyroïde, ovaires, testicules…), cela va modifier les concentrations hormonales, qui à leur tour vont modifier l’activité de certains organes cibles. 

Plusieurs études ont ainsi observé, parmi les personnes souffrant de covid long, une baisse du taux de cortisol, l’« hormone du stress », qui régule notamment notre glycémie en cas de stress et joue un rôle dans le cycle veille-sommeil. 

Autre découverte : ce virus n’agit pas nécessairement comme un tueur cellulaire forcené. Il peut infecter une cellule sans la détruire, et la dérégler de l’intérieur. 

Plusieurs études ont montré que certaines de ses protéines pouvaient durablement perturber le fonctionnement des mitochondries, les usines énergétiques de nos cellules. 

Voilà qui pourrait expliquer la fatigue générale mais aussi l’épuisement, voire les malaises après effort. 

L’immunité chamboulée 

Autre mécanisme envisagé : le covid long pourrait être lié à une perturbation à long terme de notre immunité. 

Lors de l’infection, les cellules immunitaires dites T qui reconnaissent le virus sont amplifiées : ce sont elles qui sont chargées d’éliminer les cellules infectées. Mais en cas d’emballement, il peut arriver que d’autres cellules T, non spécifiques du virus, soient également amplifiées. 

Résultat : au lieu de s’attaquer spécifiquement aux cellules infectées par le Sars-CoV-2, elles peuvent détruire des cellules de l’organisme.

Ce phénomène d’auto-immunité a été retrouvé dans plusieurs études sur le covid long. Par ailleurs, après la phase aiguë de l’infection, on observe fréquemment une baisse temporaire de l’activité du système immunitaire. 

Cette légère immunodéficience semble favoriser une réémergence de certains virus dormants, tels que le virus d’Epstein-Barr, impliqué dans la mononucléose, mais aussi dans le développement de la sclérose en plaque. 

Enfin, il existe aussi une hypothèse dite épigénétique : un épisode d’infection pourrait entraîner une altération non pas de notre ADN mais des marqueurs qui permettent sa lecture. Cette reprogrammation épigénétique (littéralement au-dessus des gènes), qui se transmet aux cellules filles, pourrait par la suite modifier certaines activités cellulaires, en particulier celles de nos cellules immunitaires. Certains spécialistes parlent ainsi de « cicatrices épigénétiques irréversibles ». 

« Quand on aura vraiment compris les causes du covid long, nous aurons enfin des outils diagnostiques et des traitements spécifiques. 

Pour l’heure, notre stratégie consiste à traiter les différents symptômes, ce qui ne guérit certes pas les patients, mais les soulage », résume l’infectiologue Dominique Salmon-Ceron, qui participe au sein de la Haute Autorité de santé à l’élaboration des recommandations de prise en charge des patient·es. 

Cette spécialiste française du covid long attend beaucoup des essais cliniques en cours sur de nouveaux antiviraux, spécifiquement dirigés contre le virus. 

Ils permettraient de débarrasser les patient·es de ces potentiels réservoirs viraux. 

« En France, aucun essai de ce type n’est financé », regrette-t-elle, avant de souligner une autre tendance typiquement française : celle de la psychiatrisation de ces symptômes, en particulier au début de la pandémie.

« Les patients en ont beaucoup souffert… », note-t-elle. 

« Tirer les leçons du Covid-19, c’est aussi s’appuyer sur ce que nous apprend le covid long et mettre en place un plan ambitieux concernant les syndromes post-infectieux », soulignait en novembre dernier le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), qui a succédé au Conseil scientifique créé pour faire face au Covid. 

Il s’agit donc désormais de transformer ce lourd fardeau du covid long en opportunité, pour progresser sur la compréhension et la prise en charge des maladies post-infectieuses persistantes. « Il reste encore du chemin… », concède Dominique Salmon-Ceron

Synthèse médiapart

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